Soeur sourire

Pourquoi certaines personnes sont-elles toujours souriantes, de bonne humeur?

Il y a deux décennies, je fréquentais presque chaque weekend un restaurant bien connu où travaillait une jeune serveuse étonnamment souriante. Elle avait toujours le sourire aux lèvres, si bien qu’après quelques semaines, cela devint un jeu de l’observer en plein travail afin de la prendre en flagrant délit de visage sérieux, absent de la moue du sourire. En trente occasions au moins (soit à chacune de mes visites), cela ne s’est jamais produit. Aussi l’ai-je surnommée affectueusement (à son insu bien sûr!) Sœur sourire. J’étais toujours heureux lorsqu’elle était assignée à ma table. Car non seulement était-elle souriante, mais gentille, attentionnée, avenante et pleine de délicatesse. Et un jour, elle n’était plus là. Une serveuse m’a alors informé qu’ayant terminé ses études, elle avait trouvé un emploi plus lucratif et plus conforme à sa formation. Fort peiné de ne plus la voir, j’étais content pour elle car je savais que partout où elle serait employée son sourire ferait le bonheur de son entourage.


C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à m’interroger sur les facteurs qui conféraient à un individu ce que je pourrais qualifier de don rare de gentillesse souriante permanente. Sœur sourire était un exemple extrême de cette espèce de personne, mais j’en ai croisé quelques autres occupant différents emplois, davantage de filles que de garçons, qui nous infusent, juste à les voir, une bouffée de bonté bienveillante et de bien-être qui nous imprègnent comme un bon parfum pendant un long moment. 


D’où la tirent-ils, ces êtres bienheureux, leur appétence au bonheur, la facilité qu’ils ont à la diffuser, à l’insuffler? De leurs «bons» gènes, sans doute. S’il est vrai qu’il existe de tels gènes de la bonté, de la bienveillance, de l’aptitude au bonheur, du sourire permanent accroché aux lèvres pour exprimer tout cela et répandre de la joie. Je l’ignore, l’univers des gènes est nouveau et encore méconnu. La jonction entre physique et métaphysique est loin d’être faite. Comment peut-on expliquer l’émergence des sentiments d’un corps formé de cellules, elles-mêmes composées d’atomes? Le fossé de notre ignorance et de notre incompréhension est immense. 


Voilà ce que je crois. De bons gènes, une bonne nature, comme on dit, cela ne suffit pas. Il faut que cet élément de base soit trempé dès la naissance et pendant toute l’enfance dans un creuset où règnent la bonne entente, l’acceptation des hauts et des bas de la vie, où prévaut un climat serein, où prédominent la bienveillance, l’empathie, la joie de vivre et les autres qualités de la même eau. Tout cela naturellement transmis par des parents ayant bénéficié des mêmes traits et de la même chaleur familiale tranquille…


Je peux errer, bien sûr. Mais si j’ai raison, quelle leçon pourrait-on en tirer? Individuellement et collectivement? Une ambiance permanente de contentement, de gaieté, de sérénité. Mais trop rares sont-ils ces êtres d’exception et trop disséminés. Et immensément nombreux, les autres, les grognons, les contempteurs de tout acabit, dont je fais malheureusement partie trop souvent. Et ainsi va le monde et toutes les sociétés qui peuplent la Terre. Et ainsi sommes-nous malheureux, noyés dans le vacarme qui nous entoure.

Marcel Chabot

25 juillet 2021, 14 h 10