Le grenier de mon enfance


La maison où je suis né a été bâtie sur une terre acquise en 1884, dans le Rang 5 (2e concession) de Saint-Lazare-de Bellechasse) par un certain Joseph Chabot  (voir le contrat de cession) pour son fils Marcel*. Selon le contrat, il y avait des bâtisse sur la terre cédée. Elle repose directement sur le sol, assise sur de grosses pierres, le plancher fait de madriers étant supporté par d’énormes troncs aplanis sur une face. C’est une construction dite pièce sur pièce (voir la photo). Elle était recouverte de bardeaux de cèdre, le toit y compris probablement, à l’origine. La photo ci-Jointe, probablement prise dans les années 1950, fournit un bon aperçu de ce qu’elle était à l’origine. Donc, plus de 135 ans plus tard, elle est toujours debout, un peu rénovée à l’extérieur par mon neveu Charles-Henri, l’actuel propriétaire. Quant à l’intérieur, il a été réaménagé au cours des décennies, notamment lorsque l’aîné de la famille, Maurice, est venu occuper une partie du rez-de-chaussée avec sa nouvelles épouse (1944).


La moitié de l’étage (qui constitue en fait le grenier), comprenait deux chambres minimalement isolées où dormaient les enfants, d’un côté les filles, de l’autre les garçons. L’autre partie n’avait fait l’objet d’aucune réfection depuis sa construction. Encore aujourd’hui, on la voit comme elle était quand les premiers habitants l’ont occupée. Les deux photos jointes en donnent un aperçu: la taille des pièces de bois du mur principal et des fermes de toit qui ont pris une couleur ambrée avec le temps. 

Quand j’avais 3 ou 4 ans, cet univers dans lequel je réussissais parfois à m’introduire lorsqu’on avait oublié de barrer la porte, m’apparaissait fort mystérieux. Le plancher était encombré, un métier à tisser dans un coin, un rouet, un dévidoir, un ber, une vieille berceuse (qui sont toujours là!)… Le printemps et l’automne, lorsque la chaleur n’était pas trop ardente, maman et ma belle-sœur Bernadette s’adonnaient allègrement au filage de la laine de nos moutons et au tissage de catalogne. Bercé par le ronron du rouet et le cliquetis des pédales du métier, je m’amusais avec un des rares cadeaux que j’avais reçus au dernier Noël. Parfois, et alors c’était la fête, le comble du bonheur, maman acceptait de me confier les catins appartenant à mes sœurs Carmelle et à Madeleine. Des poupées très grandes, autant que moi, belles, attifées de dentelles et de colifichets colorés. J’ouvrais les boîtes et, avec beaucoup de précaution, je les libérais de leur emballage de papier de soie. Je sentais maman m’observer, car mes sœurs, en ce temps-là, apportaient un soin jaloux à ces précieux cadeaux reçus d’un parent plus fortuné, tantes Anna ou Maria, peut-être, l’américaine cossue. Pendant un long temps, parfois des heures, je les berçais, je les dodichais, je jouais à les nourrir, je leurs faisais des câlins, je les embrassais… Et lorsque j’en vais terminé avec mes minauderies, maman remballait le tout scrupuleusement et replaçait les boîtes sur l’une des pièces de bois qui supportaient le toit. Je me demande ce que sont devenues ces belles courtisanes que j’ai tant chéries?


Et il y avait les ravalements, ces tunnels étroits et sombres qui longeaient le toit en pente. Il était encombré de boîtes et d’objets hétéroclites de toutes sortes qu’on avait sans doute oubliés là. Pour affronter ma peur je m’y aventurais, rebroussant chemin après quelques pieds… jusqu’au jours où j’eus de courage de me rendre jusqu’au bout, fier de moi.


Vers la même époque, j’avais peut-être 5 ans, je me souviens que Bernadette dégraissait avec un grattoir, les peaux de renards qu’Adrien avait tués et dépecés. Une fois cette opération terminée, elle punaisait chaque peau sur une planchette découpée à cette fin. Je suppose qu’on les conservait ainsi jusqu’au moment de la vente. Scène fugace dont le grenier a été témoin.


Encore un peu plus tard, je devais avoir 6 ou 7 ans… maman qui me vouait à la prêtrise, m’avait tellement imbibé de son souhait, que pendant un certain temps je me prêtai à ses rêves en me transformant en petit curé disant sa messe. Avec une boîte de carton, je m’étais fabriqué une sorte d’autel et de tabernacle que j‘avais peinturlurés et décorés. Et ayant quelquefois fréquenté l’église au moment des offices, j’imitais le curé faisant ses simagrées devant l’autel. C’était charmant et maman était aux anges, bien sûr! Ma vocation ne dura toutefois pas bien longtemps!


Puis, un peu plus tard, mes neveux les plus âgés, les enfants d’Adrien surtout, Jean-Marie, Germain et Clément, venaient passer quelques jours à la ferme pendant les vacances d’été. Seul enfant à la maison, cela me comblait. J’avais enfin des compagnons de jeu. Jean-Marie surtout, digne fils de son père qui, dès le lever, était prêt à revêtir son armure pour conquérir le monde. Aventureux, industrieux, il m’a entraîné dans mille aventures dont certaines dangereuses ((Vous pouvez télécharger un condensé de ses exploits et de sa carrière dans un texte que j’ai rédigé à l’occasion du 50e anniversaire de son mariage.) Nous avons construit des bazous, des arcs et des flèches, des fusils à broches, des torches, fabriquées avec des têtes de quenouilles que nous trempions dans un bidon d’essence pour amorcer l’allumage. Des cerfs-volants aussi… Et jamais satisfait, il voulait que ce soit le plus gros au monde. Et nous en avons fabriqué un, très gros. Mais il nous fallait une très longue et solide corde pour le lancer et le maintenir dans le vent… Nous avons cherché partout avant de dénicher, dans le coffre d’outils de mon frère Maurice, le fil idéal, son fil de ligne.  Nous avons réussi à faire voler notre monstre, mais quoique solide, le fil a cédé et le cerf-volant s’est envolé au loin. Par chance papa l’a retrouvé le lendemain en bordure de la forêt chez le deuxième voisin.


Nous allions à la pêche aux Pointes, nous participions à la récolte du foin… Nos journées étaient bien remplies. Et le soir, après un bon souper préparé par maman, nous montions, avec les autres, dormir au «petit» grenier sur des matelas de paille. Nous jacassions jusqu’à ce nous entendions de la chambre voisine où couchaient les parents: « C’est assez, les p’tits gars, taisez-vous et dormez, je ne vous le dirai pas deux fois.» Nous savions que c’était sérieux, nous chuchotions encore quelques mots et nous réfugions dans les bras de Morphée. Par la fenêtre ouverte, une brise fraîche venait caresser nos épaules dénudées à cause de la chaleur. Le bouquet, c’est lorsqu’une pluie fine et égale ruisselait sur la tôle du toit et faisait chanter nos songes, 


… Ce grenier à d’autre chose encore à raconter et j’y reviendrai peut-être un de ces jours…


* Je compte fournir d’autres détails sur ces premières transactions dans la rubrique Faits historiques.


Marcel Chabot, janvier 2021

Le grenier tel qu’il est encore en 2021. À remarquer, à gauche, le mur original de la maison, pièce sur pièce. À remarquer aussi les chevrons, au-dessus du le métier.

Au fond, le métier à tisser qui a peut-être appartenu à l’aïeule Aurélie Bilodeau, mère d’Alphée : au centre le ber (berceau) où ont dormi tous les bébés de la famille et, au premier plan, la berçante de maman et peut-être d’Aurélie. Mon autel improvisé se trouvait vis-à-vis de la petite étagère bleue.

À remarquer ces poutres immenses qui supportaient le toit. C’est sur l’une d’elle que maman rangeait les catins de mes soeurs pour que je ne puisse pas y avoir accès. Derrière, la cheminée de brique.