La lecture, les fillettes et le vélo


D’avril à octobre, le vélo fait partie de ma médecine quotidienne, bien meilleure que les potions ou les pilules que mon docteur pourrait me prescrire. Depuis deux ans environ, phénomène nouveau, peut-être  occasionné par la vilaine pandémie, je rencontre sur mon parcours de plus en plus de parents roulant eux aussi accompagnés de jeunes enfants. Et, parmi ces enfants, il y a beaucoup de fillettes, très jeunes, quatre, cinq six ans (j’ai vérifié) qui chevauchent leur mini-bicyclette (non munie de  roues-guides de sécurité) allègrement et énergiquement, devançant fièrement les adultes. Non seulement semblent-elles plus précoces que les garçons, mais aussi plus dynamiques et infatigables. Chaque fois, cela m’épate et je fais une pause pour féliciter les parents.


De là, la question: qu’est-ce qui pourrait expliquer la précocité des filles en la matière? Toujours le fameux débat entre l’inné et l’acquis. Les filles sont-elles «naturellement» plus énergiques, plus résistantes à l’effort ou plus habiles à maîtriser l’équilibre. Ou moins peureuses. Ou encore, souvent jugées plus faibles, s’efforcent-t-elles de démontrer qu’elles sont au moins égales aux gars? J’ai une autre intuition. Est-elle valable? Voudraient-elles, ces toutes fillettes épater leur papa et montrer à maman qu’elles sont les rivales de demain. Car j’ai cru remarquer que la présence du papa, ses encouragements, comptaient beaucoup dans leur performance. Le fait que les parents soient eux-mêmes des sportifs n’est pas négligeable non plus .


Toujours est-il que je n’ai pas de réponse… Les paramètres à considérer sont nombreux et les différences individuelles multiples. L’attitude des parents face à l’effort, aux bienfaits de l’exercice, voire à la place des femmes dans la société, (même si l’idée n’a pas été verbalement évoquée devant l’enfant) pèse aussi dans la balance certainement. En tout cas, ce phénomène nouveau (l’est-il vraiment?) m’étonne et me réjouit. Il y a peut-être là l’indication que le vent tourne dans le bon sens.


Et la lecture, dans tout ça, me direz-vous? Eb bien, je me suis longtemps intéressé à l’apprentissage de la lecture et cela demeure l’un de mes dadas. On le juge ardu et difficile, mais souvent à tort, j’en suis certain. Il est RENDU difficile en raison des méthodes vieillottes et mal adaptées qu’on utilise à l’école, la plupart du temps basées sur la répétition bête de syllabes. Une aberration, mais je n’en dis pas plus… Pour moi, apprendre à lire est comparable à apprendre à aller à bicyclette. Il faut bien sûr un peu de pratique, mais l’ingrédient principal et essentiel est la confiance en soi, en ses moyens. Les lettres et leurs assemblages sont le véhicule qui conduit au sens, à nommer le monde, à le découvrir, à l’investiguer. Armé de confiance en soi et du désir de filer rapidement sur deux roues, en équilibre, c’est l’affaire de quelques heures, de quelques jours. Au début on ne comprend pas comment maintenir l’équilibre. Puis, après quelques chutes et égratignures, on prend confiance, on surmonte la peur, on pédale de plus en plus vite et voilà le secret de l’équilibre élucidé. On peut alors rouler de plus en plus vite et de plus en plus loin avec plaisir. Parcourir le monde, si l’on veut. J’ai déjà écrit un article intitulé Apprendre à lire en trois mois. Mais je suis maintenant persuadé qu’un enfant de cinq ans capable de piquer un pois dans une assiette, bien secondé et surtout motivé (c’est l’ingrédient essentiel) peut apprendre à lire en moins de temps que cela. Si la compréhension est au premier plan des stratégies d’enseignement et d’apprentissage.


Marcel Chabot  1-07-2021