La petite école du rang 5 O.


La petite école de rang où j’ai étudié pendant les 7 années du cours primaire est encore debout. C’est toujours avec une certaine émotion que je la revois lorsque j’emprunte la route 279 pour me rendre dans mon village natal. Non pas que j’aimais beaucoup l’école, non, j’étais paresseux et les devoirs me faisaient suer. Heureusement que ma bonne maman était là pour les faire à ma place discrètement pour éviter d’enrager papa. Surtout que mon entrée à l’école en septembre 1948, à l’âge de 5 ans, avait été difficile. L’enfant gâté que j’étais acceptait mal d‘abandonner sa mère tous les matins pour une journée entière, car étant donné la distance qui séparait la maison de l’école, un bon mille à pied, je devais prendre mes repas sur place. Les deux premiers mois, je pleurais et reniflais presque sans arrêt. Heureusement que la bonne maîtresse Marcelle Labrecque a supporté calmement mes caprices en me traitant avec douceur. Il faut supposer que j’apprenais quand même car, mes notes étaient acceptables. Maman, qui avait un diplôme de maîtresse d’école, suppléait sans doute à mes défaillances. Quand survint l’hiver, maman décida que j’étais trop frêle pour affronter les longs parcours à pied dans le froid et la tempête. Papa n’était pas d’accord avec cette décision, mais se taisait. Quant à moi, je bénissais ma chère maman à deux genoux pour ce beau geste. De décembre à mars donc elle m’a enseigné la lecture, l’écriture et le calcul et probablement un peu de catéchisme. Et lorsque je me montrais réticent ou dissipé, elle menaçait, la méchante, de me retourner drette là à l’école. En mars, avec les beaux jours, je repris le chemin des écoliers avec les voisins Labbé, Marceau, Leblond, Lacasse et Laverdière… Mes pleurnichages de bébé avaient cessé et pour de bon…


Et les années ont passé, je partageais le premier rang avec Pierrette Labbé, ma voisine. Je n’ai jamais été compétitif (c’est trop fatigant!), mais elle un brin. Nous nous entendions bien. J’ai appris à lire assez rapidement, mais je n’ai jamais été un lecteur assidu au primaire. Je n’aimais pas écrire non plus, car écrire c’était lassant… et lorsqu’on a une esclave (en l’occurrence, maman!) pour faire l’ouvrage, pourquoi ne pas en profiter. C’est ainsi que jusqu’en septième année, c’est elle qui rédigeait mes compositions françaises, sous ma dictée, en quelque sorte, car mes idées étaient meilleures que les siennes. Ça l’enrageait, bien sûr! La septième année était celle du certificat d’études et il fallait bien que j’apprenne à me débrouiller sans elle. La matière que je préférais était l’histoire (les contes de Bernadette m’avaient marqué!), celle du Canada et même l’Histoire Sainte. Il me reste encore, soixante-dix ans plus tard, quelques bribes des personnages qui ont bâti notre pays.


Parmi mes souvenirs de ce temps, il m’en revient quelques-uns: 

-    la shed aboutée à l’école au fond de laquelle se trouvaient les chiottes ou bécosses, remplacées par une toilette quand j’étais en troisième année, installée, je crois, durant l’été, par mon frère Roger: cela limitait nos gros besoins par -25o sous zéro;

-    les récréations dans notre cour minuscule, les filles d’un côté faisant des rondes, les garçons de l’autre, s’adonnant à des jeux plus virils, la maîtresse veillant à éviter une trop grande promiscuité entre les sexes, chez les plus âgés : bien sûr qu’à douze, treize ou quatorze ans, les hormones avivent l’éveil sexuel et le désir de goûter de près le parfum féminin, si bien que, à un certain moment, il fut interdit de courir derrière l’école pour nous dérober à la vue des voisins pour jouer des jeux de main défendus (je ne dois pas être le seul à garder cet événement en mémoire).

-    et cette autre affaire bien anodine qui me revient, je ne sais pourquoi en mémoire, ce concours du Bon parler français: la maîtresse donnait à chaque élève 20 jetons qu’il devait céder ou accumuler selon qu’il utilisait un mot «joualisant» ou qu’il piégeait l’un de ses camarades… J’ai vite compris la futilité de ce jeu et je me dépêchais de me défaire de tous mes jetons en répétant à la suite les mots non acceptables. Et j’avais la paix pour le reste de la semaine.

-    ce jour où se joignirent au groupe deux nouveaux élèves, Amédée et Juiien Gagné; le premier nous fit bien rigoler, car il se plaignit à la maîtresse qu’il n’avait pas reçu son manuel d’Économie domestique, lequel était bien sûr destiné aux filles seulement; quant à Julien il devint mon voisin de pupitre et comme nous étions plutôt dissipés, et bavards surtout, nous avons eu droit à beaucoup de réprimandes et à quelques taloches de la maîtresse excédée…. C’était toléré à l’époque et eussé-je osé m’en plaindre à papa que là j’aurais eu droit à quelque échaudure au fessier.

-    les jours de tempête alors que l’un des parents faisait le ramassage des écoliers et les conduisait à l’école;

-    le poêle à deux ponts qui ronflait les jours de grand froid, mais ne réussissait pas à réchauffer la place avant dix ou onze heures les lundis matins alors que la maîtresse qui logeait à l’école la semaine retournait chez elle ou chez ses parents la fin de semaine;

-    les tiraillages et parfois les disputes au long du parcoures à l’aller et au retour. 


Et plus on prend de l’âge, plus ça afflue… des noms, des scènes, des images, des riens comme cette attirance que j’avais éprouvée pour Édith, la sœur de l’une des maîtresses qui, pour j’ignore quelle raison, s’était jointe à la classe. Je la trouvais jolie et bien mignonne et je rêvais d’en faire ma princesse… C’est le pouvoir de l’écriture de raviver ces moments desquels nous sommes faits, comme toutes les briques d’un édifice qui le composent, lui donnent forme et fonction. Mais trêve de bavardage et revenons au présent… qui, qu’on le veuille ou pas, possède l’empreinte charnelle du passé.
















Marcel Chabot, février 2021


Ma petite école…telle quelle,  sauf  pour les bacs à fleurs et les rampes de l’escalier.

Derrière l’école, la «shed» au fond de laquelle étaient situées les chiottes et  sous laquelle nous aurions bien voulu jouer librement…

Je suis à gauche de la première rangée, la tête tournée vers mon voisin. Une classe à degrés multiples (de la première à la septième année) imposante, (je compte 28 élèves…) composée de Labbé, Marceau, Leblond, Laverdière, Gagné, Lacasse… et j’en oublie peut-être…