Dave Noël. La guerre de la Conquête et les populations civiles canadiennes: Le cas de l’Île d’Orléans (1750-1765), 108 p.

Département d’histoire, Faculté des Arts et des Sciences, Université de Montréal, 2005. Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures en vue de l’obtention du grade de Maîtres ès arts (M. A.) en histoire.


Cet écrit, un mémoire fort bien documenté, contient des renseignements fort pertinents et instructifs sur la période de l’histoire et le sujet que je me suis donné comme projet de traiter pour ma satisfaction personnelle et pour en faire bénéficier ceux des lecteurs de l’Association des Chabot que l’histoire intéresse. Comme mon père, un féru de lecture, qui dans un pays et une époque qui craignaient la lecture, j’ai toujours eu un faible pour l’histoire des peuples et des gens, la nôtre en particulier. Ainsi, en élaborant ce projet, ont afflué à ma mémoire de curieuses réminiscences, celle du petit livre d’histoire éculé dans lequel nous apprenions les faits et gestes et exploits de ces hommes et quelques femmes qui avaient bâti notre pays. Des valeureux.ses, tous ces défricheurs et leurs compagnes, filles du Roy, qui ont fait de cette contrée un univers habitable et devenu plus de 400 années plus tard une sorte de paradis où il fait bon vivre. En voici quelques extraits.

Marcel Chabot,  janvier 2021


[… ]Longtemps redoutée, l’invasion britannique de 1759 n’est pas une surprise pour la population locale. Ainsi dès le mois de février, un mandement de l’évêque informe les habitants que « l’ennemi fait des préparatifs immenses, [et que] ses forces [sont] au moins six fois supérieures » à celles de l’armée française. Au mois d’avril, un second mandement précise que les Britanniques attaqueront prochainement « la colonie par quatre endroits différents », soit par le golfe du Saint-Laurent, la rivière Richelieu et par les deux extrémités du lac Ontario. De leur côté, l’administration locale et l’état-major des troupes de terre se préparent dès 1757 au siège potentiel de la capitale en inspectant les environs de Québec afin d’y repérer les endroits qu’il convient de fortifier. Le plan de défense de la ville qui est initialement élaboré prévoit alors de fortifier l’Île d’Orléans à l’aide de deux forts construits à ses extrémités, soit « un à la pointe occidentale, l'autre à la pointe orientale ». (p. 19)


[…] Ne disposant pas d’arrière-pays, les insulaires orléanais sont ainsi contraints d’évacuer leurs résidences afin de trouver refuge dans les bois de Charlesbourg et aux environs de Lorette, les habitants de Saint-François de l’Île d’Orléans étant contraints de se rendre aussi loin que Saint-Augustin. Les habitants de la rive sud du gouvernement qui doivent initialement subir le même sort, « préférèrent [...] s'enfoncer dans la profondeur des bois [et ce] malgré les ordres de M. le général » qui avait prévu les retirer en face de Québec, derrière la rivière Chaudière. Ceux de la rive nord font la même chose en se retirant dans leur arrière-pays ils érigent des campements hors de portée de la flotte anglaise. Au sujet de la date précise de l’évacuation de l’Île d’Orléans, tout indique qu’elle se soit déroulée entre la fin du mois de mai et le début du mois de juin. De toute évidence, elle commence le 23 mai suite au signalement, dans l’estuaire du Saint-Laurent, de l’avant-garde de la flotte britannique. Monsieur de Saint-Vincent est alors envoyé dans l’Île, en compagnie de deux lieutenants, afin d’« obliger les habitans de passer à la terre du Nord avec tous leurs menages ». À ce sujet, il nous semble évident que l’évacuation de près de 2 600 individus et d’une partie de leurs biens ait eu lieu de façon graduelle, ce qui expliquerait d’ailleurs pourquoi d’Avène des Méloizes, dans son journal, n’y fait référence que le 7 juin". Quoi qu’il en soit, les derniers actes des registres paroissiaux de Saint-Pierre et de Saint-Laurent sont datés des 20 et 30 mai, ce qui semble confirmer les écrits des contemporain. […] (p. 20)


[…] En ce qui a trait à l’évacuation de l’Île proprement dite, une relation anonyme nous apprend qu’elle  fut  « précipitée »  et mal  organisée  par les autorités coloniales. Toutefois, qu’ils soient pressés ou non, les habitants de l’Île d’Orléans prennent tout de même soin, avant d’évacuer leur paroisse, d’y dissimuler leurs grains dans des caches situées « sur les hauteurs et dans les profondeurs des bois » du centre de l’Île. Mises au courant, les autorités coloniales y envoient alors Monsieur Sombrun, le 6 juin, afin de les récupérer pour les besoins de l’armée54. Une fois rendus sur la rive nord du fleuve, les miliciens orléanais demandent aussitôt la permission de retourner dans leur Île afin d’en défendre l’accès aux Britanniques. Devant cette « proposition acceptable », Montcalm donne son accord soulignant que « ce sont leurs foyers, leurs champs ensemencés qu’ils auront à protéger; [et que puisque] leurs femmes et leurs enfants en sont dehors » il n’y a aucun motif valable pour les retenir davantage […]. (p. 21)


[…] Peu documenté, le séjour des habitants de l’Île d’Orléans sur la rive nord du fleuve comporte bon nombre d’inconnus. Faisant partie des milices du gouvernement de Québec, les hommes valides de l’Île sont donc postés entre le ruisseau de Beauport et la rivière Saint-Charles et ce, pour toute la durée du siège. De leur côté, les femmes, les vieillards et les enfants sont campés non loin de là, dans les profondeurs de Charlesbourg. […] (p. 22)


[…] Passant de nombreuses nuits sous les armes mais ne participant apparemment à aucun combat avant le 13 septembre, les miliciens de Saint-Pierre et de Saint-Laurent assistent à la destruction d’une partie des habitations de leur paroisse à partir de la deuxième moitié du mois d’août alors que les Britanniques, voulant encourager la désertion des Canadiens et entrevoyant l’échec de leur expédition, ravagent les campagnes abandonnées par l’armée française. Le dénouement du siège ne survient qu’avec la bataille des Plaines d’Abraham le matin du 13 septembre. […] (p. 23)


[…] Le 22 septembre, Monckton, le nouveau commandant de l’armée britannique publie une proclamation dans laquelle il est déclaré « Que les Canadiens peuvent désormais] s'en retourner dans leurs paroisses, prendre possession de leurs propres terres, habitations et effets, faire leurs récoltes, jouir de leur religion, sans recevoir le moindre empechement de la part des Anglois [...] Pourvu qu’eux de leur part, rendent les armes, prennent le serment de fidelité, et demeurent chez eux en repos ». Comme le note alors Foligné dans son journal, « c'est à [partir de] ce jour qu'on vit sortir du fond des bois nos pauvres femmes, trainant après elles leurs petits enfants, mangés des mouches sans hardes, errants la faim » […] (p. 24)


[…] Résident maintenant en territoire britannique, nouveaux sujets du roi d’Angleterre, les habitants de l’Île d’Orléans ne sont plus touchés désormais par la phase militaire finale de la guerre de la Conquête. Les opérations de 1760, marquées par la tentative ratée de reconquête de Québec par l’armée française, n’atteignent pas leurs paroisses et les miliciens ne peuvent donc pas êtres mobilisés afin de participer à la bataille de Sainte-Foy. Certains d’entre eux semblent toutefois prendre part au court siège de Québec qui s’ensuit. […] (p. 25)


[…] Comprenant un peu moins de 600 habitants chacune, les paroisses de Saint-Pierre et de Saint-Laurent ont atteint leur population maximale au milieu du XVIII' siècle, ce qui les contraint d’ailleurs à déverser leurs surplus démographiques sur les rives nord et sud du fleuve. Ayant vécu l’ensemble des perturbations de la guerre de la Conquête, les habitants de nos paroisses sont particulièrement touchés par le siège de Québec de 1759 qui les prive temporairement de leurs habitations et de leurs terres. […] (p. 26)


[…] Ainsi, à partir du 25 juillet 1759, une expédition formée de six compagnies de grenadiers et de trois compagnies d’infanterie légère est envoyée en détachement tout autour de l’Île d’Orléans. Deux jours plus tard, le 27, un officier signale la découverte d’objets enfouis par les insulaires et qui comprennent différentes pièces de vêtements ainsi que « many other Articles too tedious to mention and some Cash » représentant un total de 500 livres sterling. Cette découverte nous amène donc aux observations de John Knox qui affirme qu’en quittant leur île les Orléanais ont emporté avec eux tous leurs biens, ne laissant que quelques objets de faible valeur dans les bois du centre de l’Île.[…] (p. 29)


[…] Au sujet du patrimoine bâti qu’ils trouvent sur l’Île, les officiers  britanniques semblent d’abord  frappés par le  niveau matériel atteint  par les  paroisses de l’Île d’Orléan. Parmi ceux-ci, nous retrouvons John Johnson, un officier du 5e régiment, qui souligne que le comté de Saint-Laurent est « a bountiful Island, and well cultivated, and produces all kinds of grain, pasture and vegetables; is full of Villages, plantations, and abounding in people», et John Knox qui qualifie l’Île de « fertile and agreeable»". Ces constats enthousiastes de la part des Britanniques nous ramènent d’ailleurs aux observations faites par le sieur Boucault en 1754 alors qu’il traite de l’Île d’Orléans dans un mémoire il souligne qu’elle est l’«une des plus belles seigneuries du pays», ce qui représente un commentaire digne de mention chez un observateur qui a visité l’ensemble de la colonie durant sa carrière. […] (p. 29)


[…] Après l’échec de son unique attaque d’envergure de la première partie du siège, Wolfe rédige un nouveau manifeste qui est distribué afin de pousser les Canadiens à regagner leurs terres pour de bon. Un ultimatum y est alors fixé pour le 10 août date à partir de laquelle les habitations des absents seront détruites. L’application de ce nouveau manifeste semble être bien réelle dans le comté de Saint-Laurent si l’on se fie à Foligné qui mentionne en date du 17 août que les « ennemis brulèrent environ quinze à vingt maisons tant à l'lsle d'Orleans qu'à la pointe de Levy »' 6. De même, le 19, l’abbé Récher note que « dans l'isle d'Orléans, les maisons de la paroisse de St-François, [et] la moitié de celles de la Ste-Famille » sont brûlées. Le 21 et le 23 août, Foligné puis Montcalm mentionnent encore que les Britanniques brûlent le reste des côtes de Beaupré, de l’Île d’Orléans et de la rive sud". Au début du mois de septembre, la dévastation des paroisses orléanaises est toujours signalée, sans plus de détails, par Ramezay le 1er et par Foligné deux jours plus tard.[…]


[…] Dans le comté de Saint-Laurent, ces dévastations semblent avoir touché des églises assez bien développées pour l’époque puisqu’un volontaire de l’armée britannique qui les visite au début du siège de 1759 affirme que par leur finesse, leurs dorures et leurs sculptures, les églises de l’Île d’Orléans « exceeds most of the kind in England ». En ce qui à trait à l’état matériel, paroisse par paroisse, de ces églises au sortir du siège, il semble que celle de Saint-Pierre ait souffert de son occupation par une partie des soldats de l’armée britannique, qui y logent à partir de la mi-août, et par celle des Orléanais de la paroisse qui s’y réfugient à leur retour dans l’Île à l’automne de 175996. Lors de leur séjour dans l’église de Saint-Pierre, les différents occupants y endommagent la chaire, la tribune, et les sculptures effectuées par étapes entre 1720 et 1756. […]


[…] Si un certain nombre de bâtiments de nos paroisses semblent avoir été détruits par la guerre ou assez fortement endommagés pour être rebâtis à neuf, il semble toutefois qu’une bonne part des habitations et des dépendances agricoles soit tout de même demeurée intacte ou qu’elle n’ait seulement été abîmée lors du siège de 1759. Ainsi, dans de nombreux inventaires après décès de l’après-guerre, nous retrouvons plusieurs fois la mention de bâtiments auxquels l’ont accole le qualificatif de « vieux » ou qui sont recouverts de « vielles planches »; ce qui signifie que leur construction remonte à plus d’une dizaine d’années au moins. Dans ce cas, nous retrouvons en octobre 1761 la « vieille maison » de colombage ayant appartenu à François Goulet de Saint-Pierre, qui fait 40 pieds de long par 20 pieds de large et qui est couverte de vieilles planches »; en mars 1762 à Saint-Laurent, « une vielle baraque de pieces sur pieces couverte en vielles planches, non estimée » appartenant de son vivant à Thomas Isabelle; en mars 1764, une « vieille grange » couverte de paille appartenant à feu Joseph Chabot de Saint-Pierre et en août 1765, une « vielle grange » de 36 pieds de long par 10 pieds de large ayant appartenu à Jean Baillargeon de la paroisse de Saint-Laurent'''. […] (p. 39)


[…] Ainsi donc, en nous basant seulement sur les inventaires après décès du quinquennat de 1760-1765, les actes de vente et les donations étant trop vagues, il semblerait qu’entre 20 et 40 % des habitations de Saint-Pierre et de Saint-Laurent aient été détruites ou trop sérieusement endommagées pour être habitées à l’automne de 1759. En effet, sur 16 inventaires après décès mentionnant la présence de bâtiments pour nos deux paroisses entre 1760 et 1765, trois d’entre eux seulement signalent une destruction totale des habitations et trois autres une reconstruction ou des indices évidents de reconstruction. La réparation de certains corps de logis est d’ailleurs palpable dans quelques inventaires l’on signale des dettes liées aux événements de 1759. […] (p. 41)


[…] La nécessité de loger les officiers et les soldats britanniques du camp du « bout- de-1’Île » expliquerait donc la préservation de la plus grande partie des habitations de Saint-Pierre et à Saint-Laurent. À ce sujet, au milieu du XX' siècle, des restaurateurs ont découvert « plusieurs pièces de monnaie anglaise, des balles de mousquet ainsi qu’un bouton d’uniforme anglais » sous le plancher de la « Maison  Gendreau »  à  Saint- Laurent ' 22. La présence sur le territoire de nos paroisses de l’un des trois principaux campements britanniques présents lors du siège de Québec les aura ainsi protégées d’une dévastation massive. […] (p.42)


[…] Pour ce qui est du cheptel des insulaires, il semble assuré que la majorité des animaux aient d’abord été transférés à la rive nord au moment de l’évacuation de l’Île à la fin mai et au début du mois de juin 1759. En effet, dans les inventaires après décès de la période 1760-1765, le nombre d’animaux énumérés semble tout à fait normal dans un contexte où la dimension du cheptel du début des années 1750 a été graduellement altérée par les réquisitions faites pour les besoins de l’armée française. […] (p. 43)


[…] Pour ce qui est du calcul de la mortalité survenue chez les officiers de milice des paroisses de Saint-Pierre et de Saint-Laurent durant la guerre, plus facile à mesurer et plus significative pour notre analyse puisque ses membres sont presque toujours des notables de leur paroisse, donc des résidents permanents, il faut souligner que leur identification ne nous à été rendue possible que par l’entremise des registres paroissiaux et de certains actes notariés auxquels ils ont participé1 4. À la tête de la hiérarchie milicienne de nos paroisses, nous avons d’abord dénombré trois majors de milices pour toute notre période, soit Maurice Crépeau (de 1736 à 1753), Pierre Côté (de 1752 à 1757), et Joseph Chabot (de 1753 à 1763)1°5. Théoriquement à la tête d’au moins deux compagnies de milice, ces majors sont tous les trois des résidents de la paroisse de Saint- Pierre. Leur nombre élevé s’expliquerait par l’étendue de leur commandement qui semble s’étendre sur une partie ou sur l’ensemble l’Île d’Orléans comme c’est le cas de Joseph Chabot au sujet duquel un acte notarié de 1753 indique qu’il est « major de milice de toute l'étendue du comté St-Laurent .».[…]


[…] Il y a deux grandes pointes épidémiques qui sévissent à Saint-Pierre et Saint-Laurent entre 1755 et 1760. La première, celle de 1755-1756, est en lien avec la grande variole de cette année-là qui touche l’ensemble du Canada tandis que la seconde, celle de 1759-1760, semble liée à la conjonction des maladies liées à l’affaiblissement physique des Orléanais, lors de leur séjour forcé à Charlesbourg, et au manque de vivres et d’abris pour une petite partie des insulaires lors de leur retour dans l’Île. L’arrivée de nombreux Acadiens et des contingents de troupes de terre en 1755, 1756 et 1757 ne semble donc pas avoir causé une croissance démesurée de maladies dans le milieu insulaire de nos paroisses bien que la courbe de la mortalité y dénote alors une légère augmentation potentiellement liée à la présence du typhus et à un léger retour de la variole auprès des jeunes enfants. Il est possible également que d’éventuelles contagions n’aient pas toutes conduit à la mort des individus infectés, ce qu’il nous est impossible de mesurer. […] (p. 65)


[…] En ce qui concerne les nombreux Acadiens passés au Canada suite aux déportations de 1755-1758, peu d’entre eux se sont unis aux habitants de Saint-Pierre et de Saint-Laurent' 9l. Pourtant, en 1756, près de 200 Acadiens arrivés à Québec sont redistribués dans les différentes paroisses de l’Île d’Orléans' 92. C’est d’ailleurs à partir de cette date que les Acadiens apparaissent dans les registres paroissiaux de Saint-Pierre et de Saint-Laurent, que ce soit comme témoins ou comme sujets d’une sépulture. À l’automne de 1756 par exemple, nous retrouvons deux sépultures acadiennes survenues à Saint-Laurent, soit celles de Anne Brazeau et de Marguerite Comeau. En terme d’implantation définitive toutefois, peu d’Acadiens se marient et s’installent dans nos paroisses la plupart ne font que passer. […] [p. 79)


[…] Ainsi donc, dans le quinquennat qui suit la prise de Québec, mis à part le mariage entre Jean Rosen et Geneviève Landry en 1760 et une naissance illégitime issue d’Hélène Campagnac et d’un officier britannique inconnu, aucune union ne s’est contractée entre une insulaire et un Britannique à l’Île d’Orléans. […] (p. 81)


[…] D’ailleurs, une plus grande tolérance circonstancielle sur l’Île d’Orléans expliquerait également l’augmentation du nombre de mariages consanguins suite au siège de 1759. En effet, si l’on se fie au nombre de dispenses accordées par les curés de nos paroisses aux individus apparentés, nous passons d’un peu moins de 12% des mariages comprenant une dispense entre 1750 et 1755 à près de 21% des cas entre 1760 et 1765196. Fait à noter, cette hausse des mariages entre proches parents est également présente chez les Acadiens réfugiés à la baie des Chaleurs à la fin de la guerre qui se marient entre eux à cause des nombreuses mortalités survenues dans les couples, situation favorisée par l’absence de prêtres pour les desservir. […] (p. 82)


[…] Si l’évolution du nombre de dispenses de bans se déroule normalement, celle du nombre de témoins présents aux célébrations des mariages ne semble également pas connaître de perturbations majeures. En effet, pour l’ensemble des actes survenus dans nos deux paroisses, les curés Louis-Philippe Desgly, François et Joseph-Nicolas Martel notent en moyenne de 10 à 11 témoins et ce pour l’ensemble de notre période. Les écarts entre la rédaction des contrats de mariage retrouvés et la célébration de ceux-ci ne comportent également pas de variations significatives entre 1750 et 1765, le premier précédant presque toujours l’autre par moins d’un mois. […] (p. 83)


[…] Ainsi, malgré « la peur que l’habitant et l’évêque [...] ont communiqué aux dames du peuple » durant la guerre, les couples maintiennent leur rythme nuptial habituel jusqu’en 1758. À partir de cette date toutefois, un véritable ralentissement de l’activité sexuelle apparaît avec une chute de 42 à 23 conceptions. Ce phénomène s’explique alors en partie par la prise de Louisbourg à l’été de 1758 qui annonce alors l’arrivée prochaine d’une invasion par le fleuve et d’une attaque contre Québec. Ainsi, l’incertitude entourant les événements de l’année 1759 aura sans doute poussé certains couples à interrompre leur rythme de procréation afin d’éviter une grossesse en période de crise. Or, bien que cette hypothèse puisse expliquer une petite partie du phénomène, il est toutefois probable, que la chute des conceptions soit davantage liée à un affaiblissement de la santé des couples suite à leur malnutrition qu’à un impact direct des événements militaires. En effet, les mauvaises récoltes survenues en 1757 ont pu interrompre la fertilité normale ou favoriser les fausses couches. Évidemment, le creux atteint en 1758-1759 est aggravé par l’évacuation de l’Île d’Orléans en mai 1759 et par la séparation des femmes, durant l’été du siège, de tous les hommes en état de porter les armes et pas seulement les jeunes célibataires comme ce fut le cas dans les débuts du conflit. Ainsi, alors que les années de paix entre 1750 et 1754 ont compté sur une moyenne de 16 conceptions survenues entre les mois de mai et d’août inclusivement et que celles des étés de paix entre 1760 et 1765, une moyenne de 15 conceptions, le chiffre correspondant pour l’été de 1759 lui est de trois. […] (p. 87)


[…] Si les baptêmes ne comportent pas de retards significatifs dans leur célébration, le nombre de témoins cités dans les actes ne change également pas entre 1750 et 1765. En effet, en n’y comptant pas le curé, toujours présent évidemment, les actes de baptême comptent presque toujours de cinq à six mentions de personnes qui ont assisté à la cérémonie. […] (p. 90)


[…] Nous avions d’abord cru tout de même que la simple présence ou qu’une hausse soudaine de la popularité du prénom féminin « Marie-Victoire » pouvait être interprétée comme un signe d’une ferveur populaire liée au conflit. Or, parmi les sept cas d’enfants baptisées sous ce nom, toutes à Saint-Pierre, les quatre premières naissent en 1752 et en 1753 et seules les trois autres sont de 1757, du printemps 1759 et de l’automne 1759. À première vue donc, rien ne semble lier ce prénom au conflit qui fait rage. Toutefois, l’absence de ce prénom durant le quinquennat 1760-1765 laisse songeur. D’autant plus que quatre des sept «Marie-Victoire » sont nées de pères faisant les fonctions d’officier de milice, deux filles pour Michel Montigny, (1752 et 1759), une pour le major Joseph Chabot (1753) et une dernière pour Philippe Noël (1753). […] (p. 90)


[…] Ainsi, demeurée normale au début du conflit, l’activité sexuelle menant à la procréation chez les habitants de Saint-Pierre et de Saint-Laurent est grandement ralentie suite à la mauvaise récolte de 1757 et des années suivantes. L’affaiblissement physique des couples en état de procréer, qui cause une baisse de la fertilité et une augmentation probable des fausses couches, conjugué au climat d’incertitude amené par la prise de Louisbourg en 1758, ont donc diminué le nombre de naissances survenues en 1759-1760 et ce bien qu’un petit nombre de celles-ci ait tout de même eu lieu dans les bois de Charlesbourg. L’évacuation complète de l’Île d’Orléans en mai 1759, la séparation des hommes et des femmes durant tout l’été, le maintien de la malnutrition et la cohabitation temporaire de sinistrés chez des voisins ou dans l’église paroissiale ont également contribué au faible taux de procréation entre 1758 et 1761. Le retour à la paix et à des récoltes normales, qui favorisent une meilleure alimentation et une stabilité des individus, donc une reprise des mariages retardés à cause du conflit, amène donc en 1761-1762 le retour des conceptions puis des naissances, l’année suivante. […] [p.92)


[…] Conclusion: Faisant partie des premières régions colonisées du Canada, les paroisses de Saint- Pierre et de Saint-Laurent ont atteint un niveau de développement matériel et une cohésion sociale élevés au moment de la guerre de la Conquête. N’ayant pas d’arrière- pays et comptant ensemble de 1 000 à 1 200 habitants, ces paroisses engendrent déjà des excédents démographiques qui se dispersent en grand nombre dans les côtes avoisinantes. Lors du siège de Québec de 1759, il semble que la majeure partie des bâtiments de Saint- Pierre et de Saint-Laurent ait été épargnée de la destruction par la présence, au « bout-de- l’Île », d’un campement britannique majeur dont les officiers et une bonne partie des soldats sont logés dans les habitations des environs. Pour ce qui est des caches enfouies dans les bois de l’Île, bien que certaines aient pu être pillées, le contenu de la majorité d’entre elles a sans doute été préservé. Quant à eux, les objets facilement transportables, les animaux, l’argent et les papiers familiaux des habitants de l’Île d’Orléans auraient été amenés dans les bois de Charlesbourg à la fin de mai et au début de juin 1759, ce qui expliquerait la présence de « vieux » objets dans les inventaires après-décès de l’après- guerre. Pour ce qui est des biens ecclésiastiques, l’église de Saint-Pierre et celle de Saint- François au moins, auraient été utilisées comme lieu de casernement par les Britanniques, ce qui serait la source d’importants dégâts, surtout pour l’intérieur du temple de Saint- Pierre où plusieurs habitants ont également été logés à l’hiver de 1759. Pour ce qui est des presbytères de Saint-Pierre et de Saint-Laurent, bien que Trudel affirme qu’ils aient été tous les deux détruits, il est possible toutefois, que celui de Saint-Pierre ait survécu comme il semble être le cas de la majorité des habitations de la paroisse. […] (p. 93)


Note importante : Pour des raisons pratiques, les sources et les références fournies par l’auteur pour asseoir ses propos et assertions ont été omises. Aussi, nous suggérons au lecteur qui souhaite «aller au fond des choses» de se procurer le texte original qu’il peut obtenir gratuitement en joignant le site suivant: (https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/16815?locale-attribute=fr&show=full).