Nouvelles moutures

 
Un monde plat (essai d’essai, en progrès)

Ils avaient raison les anciens, les primitifs… Le monde est plat, aussi mince en fait qu’une feuille de papier vélin… Mais l’image est étriquée, fausse… Le vélin est mince, mais lisse et d’une blancheur quasi parfaite, tandis que le monde, notre monde, est sale, rugueux, fangeux, exhalant même un odeur âcre qui écœure…


Le monde qui m’entoure, je veux dire… qui tourne et s’agite autour de moi, qui piaille à longueur de journée comme une pie affolée. Ce que j’entends à gauche et à droite, des mots et des phrases de pure bêtise, des propos vides de sens, anodins, qui n’effleurent même pas  l’aura du sens… Que bêtise, bêtise et platitude…


Je meurs de patauger dans cette bouillie qui se répand partout, qui s’écoule de toutes les bouches, humaines, mécaniques, électroniques… Elle s’insinue partout, mes oreilles en sont gavées… Et ça dégouline,  et ça salit et ça barbouille… Glu dévalante comme la lave d’un volcan!


Dans ce monde, dans cet univers, je me dessèche, je m’éteins, m’étiole. Que reste-t-il donc lorsqu’on a gobé les fadaises du quotidien, les platitudes, les poncifs, les lieux communs, les truismes, les clichés qui balisent nos faits et gestes à cœur de jour. Rien à se mettre sous la dent de l’esprit, rien pour émouvoir et réconforter l’âme. Ah! musique, quel soulagement, quel bonheur lorsque tu affrioles notre oreille en faisant résonner, vibrer, tressaillir, jusqu’au moindre neurone, connexion synaptique…  Ah! langage ineffable, don des dieux, digne rejeton des étoiles éclatées, émergence des émergences, de l’atome à la cellule, à l’intelligence… Rares ceux qui le possèdent ce don… Encore plus rares ceux qui peuvent en goûter les fruits si exquis et si confortants.


Et ça bêle, et ça glousse et ça jappe parfois… Tout y passe… Emporté par le flot, je m’enlise comme les autres dans la stupidité, la niaiserie, les balivernes, la futilité, les sornettes… Mais bien vite je m’ennuie, je me sens seul, je me sens isolé, abandonné, au milieu de ces milliards d’autres moi. Et – la pensée m’en arrive au moment où je l’écris – d’autres avant moi l’ont exprimé ce sentiment et d’autres l’éprouvent à chaque minute… Chacun perdu dans sa bulle, souffrant, attendant  la fin qui le délivrera du mal (Amen!), de sa solitude, de la sottise ambiante qui est une gifle à l’Intelligence.


Quand les bruits de l’insignifiance nous tuent, il n’y a d’autre refuge possible que les havres de paix, de quiétude qui sont habités par des créatures chantantes, bruissantes, oiseaux, papillons, par les zéphyrs dans les ramures, par les murmures des cascades roucoulant en s’insinuant à travers les taillis comme les elfes et les fées…


Il y a aussi la fuite dans les vagabondages de l’esprit, les jongleries avec les mots, les concepts, les idées qui, lorsque qu’on réussit  à les saisir au vol, qu’on leur laisse le champ libre, qu’on les stimule, éclatent, éclosent comme les pétales odorantes et multicolores sous la fraîche rosée matinale, égaient et excitent la vision, dévoilent les arcanes de l’imaginaire, de la création d’univers uniques, inédits…


Ah! Plonger dans le flot des phrases bondissantes qui comme un parfum diffusent des trames d’histoires si éclatées, si poignantes qu’elles captivent l’âme et la transportent dans des univers où toute réalité se fond dans la lumière avalée des trous noirs. Ah! se laisser emporter au fil des mots qui chantent comme un matin de printemps longtemps attendu, qui cascadent avec les ruisseaux gorgés et qui chuintent, sève odorante et onctueuse comme le miel, de toutes les écorces… Quel enchantement quand se nourrit le cerveau de ces ondes sonores, idées, pensées, poèmes, chimères, légendes, à l’écart des papotages surannés, des grimaces médiatiques, des propos éculés, des redites, des mensonges érigés en vérités qui font le tour du monde, qui agitent les langues des pitres occupant toutes les tribunes…


Je le sais bien, je ne suis pas seul sur cette Terre à éprouver ce Vide abyssal? Mais combien sommes-nous ainsi à souffrir de la banalité du discours quotidien, forcés à nous gargariser du caquetage incessant qui agace les oreilles et transforme la matière grise en brouet infect. Je ne suis pas seul, je le sais. En cette seconde même, d’autres, mais combien sont-ils (elles?) – six milliards d’êtres ne s’agitent-ils pas autour de moi? – à faire jaillir des touches d’un clavier les mêmes sentiments, ressentiments… Où se cache-t-elle l’âme sœur qui partage ma solitude?


Je tends l’oreille… comme ceux-là qui s’ingénient à capter des messages extraterrestres j’aspire à rencontrer l’âme sœur pour enfreindre à son côté les barrières du réel, à franchir le mur de l’horizon, en route vers des vérités nouvelles, des paradigmes inédits, des contes fabuleux sur les lèvres, des histoires et des inventions plein la caboche… Le plaisir… Le plaisir, il décuple si on le partage… Il se multiplie comme la semence jetée en terre qui, nourrie d’eau et de soleil, donne ses fruits… Est-ce que je crie dans le désert? Y a-t-il quelqu’un à portée de voix? Pour l’heure, l’air ambiant est silencieux. Je n’ai d’autre choix que de me retirer en moi-même…


Je parlais de souffrance… quelle est-elle? Oh! Par malheur elle n’est pas mortelle, elle lancine seulement… Comme un venin, elle afflue dans nos veines et souille nos chairs jusqu’à putréfaction… Poison insidieux, elle endort nos sens et, un moment peut-être, l’esprit s’englue dans la complaisance, dans l’acceptation béate des pires médiocrités qui, vomies des gueules abominables médiatiques, emplissent l’air ambiant de miasmes pandémiques (s’ils n’en meurent pas, tous sont atteints!)…


Le mal est là, toujours, le matin au réveil,  quand l’aube aux ailes d’espérance annonce ses couleurs et gazouille avec les oiseaux, le midi lorsque se déchaine la frénésie humaine et ses lamentations lamentablement mensongères et, à l’heure des ténèbres, dès que les loups et les hyènes enragés bondissent pour la curée quotidienne… La souffrance… on la sent comme le pestiféré la pourriture dévorant sa chair, comme le grand brûlé dont la peau se décompose comme celle d’un cadavre,  comme le supplicié dont on a rompu les os, brisé les nerfs, vidé le ventre de ses entrailles…  Ma souffrance… telle est-elle… Elle fluctue, parfois lisse et douillette, puis  vive, brutale jusqu’à l’insupportable… Elle me grise un moment avant de me transpercer de part en part comme l’hameçon le ver qui se tord… On en vient  même à l’oublier de longs moments… Il le faut bien, sinon la vie sur ce continent deviendrait impossible, tout à fait… Comme le sourd accepte la surdité, même s’il a le génie de Beethoven…


Toujours est-il… Qu’est-ce qu’on a à foutre de mes malheurs, de ma souffrance? Que pèse-t-elle  dans l’Univers? A-t-elle même un poids? Je me marre soudain! Je me paie de mots, de phrases, d’images… Je me prends pour un poète? Je braille comme le veau qui a perdu de vue sa vache de mère… Je dégoise.. Je me console toutefois à ne pas être le seul! On peut dire que tout autour, ça palabre, ça pérore, ça persifle, ça engueule… Le tintamarre, la purée, la chienlit tous azimuts!


Et si tout à coup je devenais zen… La rumeur nauséabonde qui m’étouffe, m’étrangle, m’opprime, comme par magie se transformerait peut-être en parfum à faire éclore ici-bas toute jouissance et volupté! Mais, ne serait-ce pas là balayer sous le tapis les malheurs qui frappent à chaque instant ces millions de pauvres hères affamés, affreux de pauvreté, tous victimes des ignominies qu’on commet à leur endroit… Et pleuvent les excuses mensongères, les faux prétextes, les palabres vides à faire vomir de ces psychopathes qui agitent au-dessus de leurs têtes les rênes du pouvoir, la gueule béante  de grimaces méprisantes à la vue de cette plèbe misérable qui peine et se traîne sous le poids des durs labeurs, de la famine, alors que la richesse, à côté, dégouline de partout… Comment oublier? Quoi oublier?


Et ici je me pose la question… D’où vient-elle cette maladie dont on parle de plus en plus et qui semble frapper plus lourdement chaque jour qui passe, cette maladie qui  irréversiblement annihile les fonctions mentales et jette dans l’oubli même l’idée de la mémoire? L’Alzheimer! L’oubli du présent, l’oubli des quotidiennes tracasseries, des embarras, des contrariétés, des contretemps, des interdictions, des problèmes, des chicaneries, des inutiles brouilles, des stupides fâcheries, des bêtes querelles, des différends sans cause, des malentendus fâcheux… Ah! ne vaut-il pas mieux l’amnésie, l’absence complète au monde qui tourne en folie comme un derviche, qui fabule, qui corrompt les esprits de sa propagande empoisonnée, que le lent étouffement dans les immondices de l’hypocrisie, de la tromperie, des faux-semblants et des artifices. Se détourner de tout ça! Pourquoi pas? Entrer (rentrer?) en soi, dans un monde autre, dimension nouvelle dans laquelle on trouve (retrouve?) la liberté, la liberté de vivre enfin dans le silence avec la seule musique, celle qu’on a aimée et celle aussi qu’on peut créer en puisant au plus profond de l’univers, jusqu’au Big Bang, à même les échos qui continuent d’âge en âge à se répercuter…


Qui dira les torts de la Conscience? Mes blessures sont béantes… Je regarde couler le sang qui s’en échappe… goutte à goutte… J’ai conscience… que mon âme qui défaille va bientôt  s’envoler… Ne vaudrait-il pas mieux que j’ignore tout de ma fin, que je laisse le temps faire son œuvre sans chercher à savoir, sans me poser de questions, sans me faire de souci? Oh! divine psychologie et sacro-saints psychologues qui nous vantent les vertus de la conscience et les pouvoirs incommensurables de l’introspection, du regard en nous-mêmes, médecine supposément garante d’un guérison rapide et définitive de nos maux les plus douloureux de l’âme. Oh! qu’ils sont vils tous ces disciples maudits de Freud et autres semblables empoisonneurs de l’esprit et de l’âme. Mais, mais, conscient je le suis, peut=être davantage que quiconque, et je m’en confesse…Il faut vivre avec son karma!


Mon crâne est comme un maraca.. À l’intérieur tintinnabulent comme des grelots de cristal les jacasseries qui s’insinuent dans mes canaux auditifs et me crèvent les tympans. Musique diabolique comme la torture de la goutte d’eau. Je n’en peux plus de ces piaillements qui, tels des asticots voraces, creusent leurs tunnels dans mon cerveau… Oh! Ce ne sont pas les caquetages de quelques pies décervelées qui vont avoir emprise sur mes convictions… Je lutte… pour ma vie… pour ma survie… Je ne me laisserai pas dévorer… Leurs petites rages fielleuses je m’en rie… Je dois rester fort car j’ai d’autres combats à livrer… combien, oh combien! Je ne suis pas seul à résister à l’assaut des furieux et des furieuses, mais combien sommes-nous à résister, à brandir haut la vérité tel un étendard… Quelques-uns… il faut hurler comme les loups pour qu’on nous entende et que nos rugissements emplissent l’air des villes et des campagnes d’une crainte salutaire…


Hier, écoutant les sempiternelles élucubrations éructées à la radio, j’ai compris soudain, oh illumination, que je faisais partie d’un peu de dégénérés… Ça m’a ramené au temps de mes dix-sept ans quand je découvrais Rimbaud et que je lisais en cachette ses Illuminations dont, à cet âge tendre, je ne pouvais saisir le sens. Dégénérés…  Lui, encore adolescent, il avait tout compris, alors que moi, c’est au seuil de la tombe que j’aperçois un peu la lumière. Dégénérés. 


Che Guevara, le Che… Pourquoi à cet instant précis son nom, son visage, me reviennent-ils en mémoire? Ce film que j’ai vu l’autre jour? Sa figure paradoxale de Christ transfiguré peinte sur le gaminet de mon fils? Changer les choses passe par la lutte… On croit qu’ici en Québec, la révolution n’est pas nécessaire que tout n’est que calme et volupté… Mais sommes-nous sourds, aveugles, complètement désincarnés, abrutis? Nos élites, nos meneurs, nos brasseurs de cennes et de piasses, ne sont-ils pas les pires crapules... Il pillent, volent, spolient sans scrupules, ils vendent notre pays nos richesses à vil prix.... et nous sommes là goujons frétillants à attendre qu’ils nous jettent leur infecte pitance, les restes avariés de leur bombance dans des domaines princiers ou des yatchs de luxe.


Tout abandonner, femme, famille, carrière pour lutter contre cette corruption, pas seulement celle de l’argent, celle des esprits avant tout... Avoir le courage de prendre le maquis, les armes pour annihiler cette engeance maudite... au risque de la mort... Car la Bête ne se laisse pas facilement dompter... la Bête à sept têtes comme les péchés capitaux qui règne sur le monde prête toujours à mettre en charpie les gueux et les gueuses qui cherchent à trouver les failles de sa carapace... Il en faudra des milliers, voire des millions pour arriver à la terrasser, à lui faire mordre la poussière... En attendant, elle se promène allègrement, écrasant sans pitié sous ses pattes ensanglantées les coeurs vaillants qui osent encore l’affronter... Elle ignore peut-être que Bigre Boum est là, toujours là, qui la guette et la traque... Bigre Boum qui est patient mais dont la justice est implacable... La Bête ne survivra pas mais entre-temps, combien de pauvres bougres auront été sacrifiés... Comme les autres, mes frères, je manque de courage, de force de caractère pour me lever debout et me lancer dans la bataille... Je fais partie d’un peuple de pleutres, d’un peuple qu’on a autrefois abandonné à son sort, qu’on a humilié, un peuple qui a fini par accepter d’être né pour un petit pain... Comment voulez- après cela que je sois un guerrier, un vrai! On m’a amputé de ma vigueur, de ma vaillance, de ma résolution, et je n’ai que des mots pour attaquer et me défendre.


Les vipères continuent de siffler dehors... j’ai quand même appris à les reconnaître de loin seriner leur venin, cracher leurs mensonges... Elles en ont une provision inépuisable... Dégénérés, nous nous laissons inoculer bêtement, placidement, timides agnelets destinés à accomplir en sous-main leurs oeuvres de malversation, de vol, de tripotage.


Ca ricane, ça jappe tout près… Les hyènes et les chacals sont en ville. Ils arpentent les rues, leurs gueules béantes, groins dégoulinants de bave mêlés de sang, les yeux rouges comme des charbons… ils cherchent des victimes à charcuter, mais elles sont là, ignorantes du danger, fainéantes, innocentes, presque consentantes à les voir se mouvoir paresseusement, sans hâte. Leur mère les avait averties de se méfier du méchant loup, mais ces bêtes si lestes, à l’air si conquérant n’en ont pas l’air, malgré tout, malgré leur masque malgracieux. Des bêtes du monde quoi! De la haute… portant toison et pelisse, ma chère! Je suis aux premières loges et je sais que ça va saigner tout à l’heure… Ils ne sont pas de taille ces badauds de souche…



-À suivre donc au fil des jours qui défilent... ne quittez pas l’antenne au risque de perdre la fine fleur du message...